Anton partit à la rencontre de Nadeshda à l'extrémité du village.
Personne n'appréciait ouvertement cette mégère qui ne souffrait
aucune compagnie, et qui n'hésitait pas à lancer des paroles de
mauvais sort. Mais même si elle n'était guère appréciée, lorsque
personne ne les voyait, nombreux étaient les villageois qui
frappaient à la porte de sa cabane. Elle était un peu la sorcière
désagréable mais inoffensive du village. Elle jouait son rôle dans
le village, elle centralisait les mauvais esprits, les mauvaises
intentions, elle incarnait le mal et les maléfices dont il fallait
se séparer, elle les recueillait. Mieux valait savoir où étaient
logés les maléfices que les imaginer déambulant à leur guise de
maison en maison dans le village.
- Entre, Anton, je t'attendais, annonça Nadeshda lorsqu'il franchit
le seuil de sa porte.
Il n'était guère impressionné par ces effets de style. Il savait
qu'elle jouait sur la crédulité des villageois en leur faisant
croire qu'elle savait bien plus qu'en réalité.
- Entre, Anton, je savais qu'un jour tu aurais besoin de mes
services, toi Anton, le rationaliste.
- Tu sais qu'une bête féroce, ou une meute, a attaqué Rusty et
sept brebis.
- Oui bien sûr Anton, tu veux parler du loup-garou.
Pour le coup Anton fut pris de court par la réponse directe,
franche, et sans hésitation de de Nadeshda.
- Et qu'est ce qui te fait penser cela ?
- Et qu'est ce qui peut te faire penser que ce ne soit pas un
loup-garou ? répliqua immédiatement la sorcière, pas
mécontente de sa répartie.
- Peut-être le fait que les loups-garous ne sont que des
produits de l'imaginaire ?
- Oui tu as sûrement raison. Rusty également fait parti de
l'imaginaire maintenant. Et les sept brebis également. C'est moi qui
les ai inventées. D'ailleurs, ils font tellement partis de
l'imaginaire que tu es venu me trouver, parce que tu n'as pas trouvé
d'explication.
- Et ce ... loup-garou, il représente une menace pour le
village ?
Les yeux de la sorcière s'enfoncèrent dans ses orbites, révélant
toute leur noirceur.
- Rien de connu ne peut arrêter un loup-garou. Pour le commun
des mortels, un loup-garou est indestructible.
- Donc le village est condamné, si je te suis bien, rétorqua
Anton.
- Pas du tout, je n'ai jamais dis ça, je n'ai pas parlé du
village. Tu m'as demandé le loup-garou, je t'ai parlé du
loup-garou.
- Mais s'il est indestructible et qu'il représente une menace
pour le village, qu'est ce que nous pouvons faire alors ?
- Une légende très ancienne dit qu'au sommet du mont Urulu
habite une magicienne prénommée Watiba. On raconte que Watiba a été
mariée à un loup-garou qui tua sa famille. Elle ne parvint jamais à
rompre le sort qui avait pris possession de son mari, et quand elle
voulut le tuer pour protéger leurs propres enfants, il résista à
toutes les morts. Elle réussit finalement à se débarrasser de son
encombrant mari grâce à une recette appropriée qu'elle trouva dans
un vieux grimoire poussiéreux au fond d'une malle que sa grand-mère
lui avait laissé en héritage.
- Il n'y a que Watiba qui puisse te donner la solution pour
vaincre un loup-garou, mais je te connais Anton, tu as toujours dit
que mes histoires étaient des fariboles, que mes potions n'avaient
aucun effet, tu te crois au-dessus du Diable, Anton, mais le Diable
sait revêtir différentes formes, il surgit là où on ne l'attend
jamais, tu es trop présomptueux Anton, tu apprendras à douter de
tout, à commencer de toi-même. Et la vieille, en ricanant,
s'éclipsa. Anton était perplexe. Bien entendu, la seule chose qu'il
croyait concernant la vieille était qu'elle était folle à lier, et
qu'elle avait un don de persuasion indiscutable pour se faire
entretenir par les villageois les plus naïfs, mais les faits qui
étaient survenus n'étaient pas communs, et il lui fallait bien
reconnaître que tout le savoir qu'il avait accumulé ne lui
apportait pas de solution pour éviter qu'un tel drame ne se
reproduise à nouveau. Anton réfléchit encore et encore, il
retourna la question dans tous les sens. Il était piégé par cette
vieille sorcière maléfique dont il s'était tant moqué par le
passé. Il savait qu'il devait agir rapidement, Yach lui avait bien
précisé : " à chaque fois que la lune est ronde ",
c'est à dire environ chaque mois. Il avait donc peu de temps pour
agir. Il se résigna à retourner voir la vieille.
- Tu vois Anton, je ne prédis pas tout, je ne pensais pas que
tu reviendrais.
- La raison pour laquelle je viens te voir dépasse notre
querelle personnelle. J'ai le pressentiment que le village court un
grand danger. Il y a les paroles de Yach, et surtout il y a cette
attaque, qui n'a pas été inventée, et l'on n'a aucune idée de qui
ou quoi a bien pu perpétrer cela. Cette attaque va donc se
reproduire, c'est certain, et peut-être de façon encore plus
dramatique. Si tu as foi ne serait-ce qu'un minimum, en ce village
qui te nourrit depuis tant d'années, il est de ton devoir d'aider
ces villageois qui sont démunis face à cette menace qu'ils
n'arrivent pas à cerner.
- Mais tu n'écoutes jamais ce que j'ai à dire Anton, donc tu
n'écouteras pas ce que je te dirai.
- Et si je voulais aller voir Watiba, quelle direction je
devrais prendre ?
- Le mont Urulu se trouve tout au nord. Après le pont des
trépassés, derrière la forêt de cyprès, il faut franchir le
fleuve Watéro et marcher sur la passerelle tendue entre les pics aux
cimes vertes. Quand tu atteindras le nid de l'aigle, la position des
œufs t'indiquera la marche à suivre. Tu dévaleras alors la
montagne jusqu'au bois au vent qui rend fou. Tu cueilleras alors
trois magrittas, des fleurs jaunes et violettes qui ne poussent qu'à
cet endroit, et la montagne ouvrira une grotte dans laquelle tu
t'enfonceras. Au fond de cette grotte, tu chuteras dans une cascade
d'eau pure qui te conduira dans une vallée cachée. Si ton âme est
sincère, un lapin t'invitera à le suivre. Il te guidera aux pieds
de Watiba.
Chapitre 10 - Sept enfants
Chapitre 10 - Sept enfants
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