Yach - Chapitre 9 - La solution

Anton partit à la rencontre de Nadeshda à l'extrémité du village. Personne n'appréciait ouvertement cette mégère qui ne souffrait aucune compagnie, et qui n'hésitait pas à lancer des paroles de mauvais sort. Mais même si elle n'était guère appréciée, lorsque personne ne les voyait, nombreux étaient les villageois qui frappaient à la porte de sa cabane. Elle était un peu la sorcière désagréable mais inoffensive du village. Elle jouait son rôle dans le village, elle centralisait les mauvais esprits, les mauvaises intentions, elle incarnait le mal et les maléfices dont il fallait se séparer, elle les recueillait. Mieux valait savoir où étaient logés les maléfices que les imaginer déambulant à leur guise de maison en maison dans le village.
- Entre, Anton, je t'attendais, annonça Nadeshda lorsqu'il franchit le seuil de sa porte.
Il n'était guère impressionné par ces effets de style. Il savait qu'elle jouait sur la crédulité des villageois en leur faisant croire qu'elle savait bien plus qu'en réalité.
- Entre, Anton, je savais qu'un jour tu aurais besoin de mes services, toi Anton, le rationaliste.
- Tu sais qu'une bête féroce, ou une meute, a attaqué Rusty et sept brebis.
- Oui bien sûr Anton, tu veux parler du loup-garou.
Pour le coup Anton fut pris de court par la réponse directe, franche, et sans hésitation de de Nadeshda.
- Et qu'est ce qui te fait penser cela ?
- Et qu'est ce qui peut te faire penser que ce ne soit pas un loup-garou ? répliqua immédiatement la sorcière, pas mécontente de sa répartie.
- Peut-être le fait que les loups-garous ne sont que des produits de l'imaginaire ?
- Oui tu as sûrement raison. Rusty également fait parti de l'imaginaire maintenant. Et les sept brebis également. C'est moi qui les ai inventées. D'ailleurs, ils font tellement partis de l'imaginaire que tu es venu me trouver, parce que tu n'as pas trouvé d'explication.
- Et ce ... loup-garou, il représente une menace pour le village ?
Les yeux de la sorcière s'enfoncèrent dans ses orbites, révélant toute leur noirceur.
- Rien de connu ne peut arrêter un loup-garou. Pour le commun des mortels, un loup-garou est indestructible.
- Donc le village est condamné, si je te suis bien, rétorqua Anton.
- Pas du tout, je n'ai jamais dis ça, je n'ai pas parlé du village. Tu m'as demandé le loup-garou, je t'ai parlé du loup-garou.
- Mais s'il est indestructible et qu'il représente une menace pour le village, qu'est ce que nous pouvons faire alors ?
- Une légende très ancienne dit qu'au sommet du mont Urulu habite une magicienne prénommée Watiba. On raconte que Watiba a été mariée à un loup-garou qui tua sa famille. Elle ne parvint jamais à rompre le sort qui avait pris possession de son mari, et quand elle voulut le tuer pour protéger leurs propres enfants, il résista à toutes les morts. Elle réussit finalement à se débarrasser de son encombrant mari grâce à une recette appropriée qu'elle trouva dans un vieux grimoire poussiéreux au fond d'une malle que sa grand-mère lui avait laissé en héritage.
- Il n'y a que Watiba qui puisse te donner la solution pour vaincre un loup-garou, mais je te connais Anton, tu as toujours dit que mes histoires étaient des fariboles, que mes potions n'avaient aucun effet, tu te crois au-dessus du Diable, Anton, mais le Diable sait revêtir différentes formes, il surgit là où on ne l'attend jamais, tu es trop présomptueux Anton, tu apprendras à douter de tout, à commencer de toi-même. Et la vieille, en ricanant, s'éclipsa. Anton était perplexe. Bien entendu, la seule chose qu'il croyait concernant la vieille était qu'elle était folle à lier, et qu'elle avait un don de persuasion indiscutable pour se faire entretenir par les villageois les plus naïfs, mais les faits qui étaient survenus n'étaient pas communs, et il lui fallait bien reconnaître que tout le savoir qu'il avait accumulé ne lui apportait pas de solution pour éviter qu'un tel drame ne se reproduise à nouveau. Anton réfléchit encore et encore, il retourna la question dans tous les sens. Il était piégé par cette vieille sorcière maléfique dont il s'était tant moqué par le passé. Il savait qu'il devait agir rapidement, Yach lui avait bien précisé : " à chaque fois que la lune est ronde ", c'est à dire environ chaque mois. Il avait donc peu de temps pour agir. Il se résigna à retourner voir la vieille.
- Tu vois Anton, je ne prédis pas tout, je ne pensais pas que tu reviendrais.
- La raison pour laquelle je viens te voir dépasse notre querelle personnelle. J'ai le pressentiment que le village court un grand danger. Il y a les paroles de Yach, et surtout il y a cette attaque, qui n'a pas été inventée, et l'on n'a aucune idée de qui ou quoi a bien pu perpétrer cela. Cette attaque va donc se reproduire, c'est certain, et peut-être de façon encore plus dramatique. Si tu as foi ne serait-ce qu'un minimum, en ce village qui te nourrit depuis tant d'années, il est de ton devoir d'aider ces villageois qui sont démunis face à cette menace qu'ils n'arrivent pas à cerner.
- Mais tu n'écoutes jamais ce que j'ai à dire Anton, donc tu n'écouteras pas ce que je te dirai.
- Et si je voulais aller voir Watiba, quelle direction je devrais prendre ?
- Le mont Urulu se trouve tout au nord. Après le pont des trépassés, derrière la forêt de cyprès, il faut franchir le fleuve Watéro et marcher sur la passerelle tendue entre les pics aux cimes vertes. Quand tu atteindras le nid de l'aigle, la position des œufs t'indiquera la marche à suivre. Tu dévaleras alors la montagne jusqu'au bois au vent qui rend fou. Tu cueilleras alors trois magrittas, des fleurs jaunes et violettes qui ne poussent qu'à cet endroit, et la montagne ouvrira une grotte dans laquelle tu t'enfonceras. Au fond de cette grotte, tu chuteras dans une cascade d'eau pure qui te conduira dans une vallée cachée. Si ton âme est sincère, un lapin t'invitera à le suivre. Il te guidera aux pieds de Watiba.

Chapitre 10 - Sept enfants

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire