Il s'était emprisonné,
impossible pour un loup de s'échapper de cette prison. Il aurait
souhaité dormir, oublier cette nuit à venir, et se réveiller le
lendemain, sourire aux lèvres en regardant la lune s'enfuir. Mais
impossible de dormir, il était secoué de spasmes, ses forces
décuplaient, de l'énergie affluait, la lune lui transmettait sa
puissance. Il maudissait cette lune, elle était sournoise, se
montrait sombre, jouait les discrètes face à la force affichée du
soleil, mais dès que le soleil prenait son repos, la lune, telle une
murène, surgissait de sa cachette pour exercer son pouvoir. Yach se
transforma, contre sa volonté, en une bête immonde, assoiffée de
sang, il enrageait de ne pouvoir quitter son arbre, impossible de
s'échapper sans se rompre le cou, les griffes ne suffisaient pas, il
fallait des mains pour empoigner les branches et redescendre. De
rage, il plantait ses crocs dans le tronc et lacérait les feuilles,
mais l'arbre centenaire se moquait bien de la colère de ce loup
présomptueux. Ainsi se déroula la nuit, un loup piégé par un
enfant. Le lendemain matin, dès que le soleil commença à darder
ses flèches acérées, le loup redevint Yach, un enfant affable,
avide de découvrir le monde. Yach était épuisé et affamé. Le
loup débordait d'énergie mais rendait à Yach un corps épuisé
d'avoir fourni tant d'efforts durant toute la pleine lune. Cette nuit
avait été plus rude que les précédentes, car il n'avait rien
mangé. Il s'était battu toute la nuit, sans relâche, contre cet
arbre qui le retenait prisonnier. Jamais il n'avait eu l'intention
d'abandonner. Il en gardait les séquelles au petit matin. Les ongles
de Yach étaient brisés en de multiples endroits et ses phalanges
saignaient. Sa lèvre était fendue et une canine était ébréchée.
Yach redescendit de son arbre avec prudence. Il était si las qu'il
avait envie de pleurer. Il voulait retrouver le village au plus vite,
là où ses semblables prenaient soin de lui, là où il était
choyé, là où le loup ne viendrait pas l'importuner. Il marcha d'un
pas lent, peu assuré, ses forces l'avaient abandonné. Ce fut
Vladimir, encore lui, l'aubergiste, qui repéra au loin Yach se
diriger vers le village d'un pas traînant. Il partit à sa rencontre
et ne put réprimer une moue de tristesse en voyant dans quel état
revenait l'étranger. Il l'aida à terminer son chemin jusqu'au
village. A nouveau, il le nourrit, puis l'installa près du feu pour
qu'il se repose et reprenne des forces. Yach pouvait récupérer. Il
redevint l'attraction du village, et même si les intentions
n'étaient pas toujours louables, même si parfois il faisait l'objet
de moqueries, Yach ne courrait aucun danger. Anton, l'instituteur, se
prit d'affection pour lui, ou plutôt pour le défi qu'il
représentait. Il se mit en tête d'apprendre à parler à Yach. Le
plus difficile fut que Yach accepte de se prêter au jeu. Il n'avait
aucune raison d'apprendre à parler. Il ne manquait de rien, mangeait
à sa faim, dormait au chaud, il n'avait besoin de rien de plus. Pas
de besoin, pas de parole. Yach ne voulait pas déplaire à son ami,
alors il essaya d'articuler des syllabes. Et, de fil en aiguille,
Yach s'émerveilla de réussir à prononcer des mots simples. Il
était fier comme un paon lorsque ses amis applaudissaient à un mot
bien prononcé. Yach progressait vite, il était doué. Tous les
enfants ont des prédispositions naturelles pour le langage, et
l'esprit de Yach était aiguisé, dopé par les pouvoirs que la lune
apportait au loup qui sommeillait au fond de son âme. Les semaines
passèrent ainsi, paisiblement. Chaque mois, lorsque la pleine lune
approchait, Yach courrait se réfugier dans son arbre. Le loup
passait la nuit inconfortablement, il ne s'énervait plus, il savait
que c'était inutile, mais il cogitait, il attendait son heure, il
cultivait sa rancœur. Un jour il prendrait sa revanche. Le
lendemain, Yach ne se souvenait de rien, il était seulement à bout
de forces et affamé, il s'en retournait au village en se traînant
et reprenait sa vie, ses apprentissages, il parlait de mieux en
mieux, tissait des liens sociaux, il découvrait l'amitié.
Chapitre 7 - Miam !
Chapitre 7 - Miam !
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