Aucun humain, aucun animal ne
peut se laisser mourir volontairement s'il sait qu'une solution pour
s'en sortir existe. L'instinct veille au grain. On ne réfléchit
bien que lorsque le ventre est bien rempli. Lorsque la faim vous
tenaille, c'est l'estomac qui prend les décisions. Yach avait avancé
jusqu'à la ville. Il était bien loin de son campement, bien loin du
petit village, il s'approchait émerveillé d'une ville plus grande
que ce qu'il n'avait jamais vu. Les maisons étaient construites en
dur, des chemins étaient tracés pour laisser passer des calèches
attelées. Les habitations s'étaient érigées de façon ordonnée.
Tout semblait propre et bien droit, même les arbres étaient
alignés. Quel endroit surprenant.
- Oh là gamin tu sembles
sacrément perdu, ricana un homme recouvert de vêtements étranges
qu'il voyait pour la première fois.
- Je peux t'aider mon garçon,
insista-t-il devant l'absence de réponse de Yach.
Yach le dévisageait.
- Pourquoi il aboie dans ma
direction, se demandait Yach.
Il ne comprenait pas un seul des
mots que l'inconnu lui adressait. Rapidement, un attroupement se fit
autour de Yach. Il n'avait pas peur, il était comme eux, curieux. Il
les reniflait mais leur odeurs ne lui rappelaient rien. Plus il les
reniflait, et plus l'attroupement gonflait. Ils avaient déjà vu des
chasseurs des steppes, mais ils connaissaient leurs dialectes, tandis
que celui-là était différent. Il était trop jeune pour que sa
tribu le laisse partir seul, il ne parlait pas, son corps présentait
de multiples contusions, il était très sale. A l'évidence, un
grand malheur avait eu lieu. On fit venir le chef du village,
l'apothicaire, le curé, et tous les personnages un tant soit peu
importants de la ville pour apporter une explication. Yach se
méfiait, ils commençaient à s'approcher de trop près, ils étaient
nombreux, et ils en avaient tous après lui, il commença à se
crisper. La foule recula, ce sauvage était vif, qui sait s'il
n'avait pas dissimulé un coutelas sous la peau de bête qui le
recouvrait. La foule et Yach s'observaient du coin de l'œil, comme
deux chasseurs lors d'un rituel avant une lutte à mort. Ce fut
Vladimir qui débloqua la situation. Il déposa une immense marmite
remplie jusqu'à ras bord d'une soupe bien grasse et bien épaisse.
Une spécialité qu'il proposait dans son auberge et qui ravissait
les clients. Il conservait jalousement sa recette pour lui seul, mais
on voyait des morceaux de viande, des herbes, des légumes entiers
qui avaient mijoté des heures et s'étaient mixés pour offrir un
pot-au-feu succulent. Yach ne se préoccupa pas de la louche, la
cuillère et l'écuelle, il plongea son visage jusqu'aux oreilles
dans la marmite et avala à grandes gorgées sans pouvoir s'arrêter.
Les légumes, les morceaux de viande, tout était aspiré en entier,
sans mastication. Il n'avait pas le temps de mastiquer, il avait trop
faim, et toute cette nourriture qui tombait à pic. Il n'avait jamais
appris à conserver, à gérer, il se dépêcha de vider la marmite
avant qu'elle ne disparaisse. C'était comme ça dans sa vie à lui,
si un gibier se présentait, il ne fallait pas laisser passer
l'occasion qui ne se représenterait probablement plus. Tout le
village resta bouche bée en le regardant vider le contenu de la
marmite. Il y avait bien là de quoi nourrir vingt personnes. Après
avoir tout avalé, Yach n'hésita pas à lécher le fond de la
marmite. Elle était propre, lavée, Yach se laissa choir sur le sol,
il rota et ria à gorge déployée. Il était heureux. Son ventre lui
faisait mal.
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