Yach - Chapitre 4 - La ville

Aucun humain, aucun animal ne peut se laisser mourir volontairement s'il sait qu'une solution pour s'en sortir existe. L'instinct veille au grain. On ne réfléchit bien que lorsque le ventre est bien rempli. Lorsque la faim vous tenaille, c'est l'estomac qui prend les décisions. Yach avait avancé jusqu'à la ville. Il était bien loin de son campement, bien loin du petit village, il s'approchait émerveillé d'une ville plus grande que ce qu'il n'avait jamais vu. Les maisons étaient construites en dur, des chemins étaient tracés pour laisser passer des calèches attelées. Les habitations s'étaient érigées de façon ordonnée. Tout semblait propre et bien droit, même les arbres étaient alignés. Quel endroit surprenant.
- Oh là gamin tu sembles sacrément perdu, ricana un homme recouvert de vêtements étranges qu'il voyait pour la première fois.
- Je peux t'aider mon garçon, insista-t-il devant l'absence de réponse de Yach.
Yach le dévisageait.
- Pourquoi il aboie dans ma direction, se demandait Yach.
Il ne comprenait pas un seul des mots que l'inconnu lui adressait. Rapidement, un attroupement se fit autour de Yach. Il n'avait pas peur, il était comme eux, curieux. Il les reniflait mais leur odeurs ne lui rappelaient rien. Plus il les reniflait, et plus l'attroupement gonflait. Ils avaient déjà vu des chasseurs des steppes, mais ils connaissaient leurs dialectes, tandis que celui-là était différent. Il était trop jeune pour que sa tribu le laisse partir seul, il ne parlait pas, son corps présentait de multiples contusions, il était très sale. A l'évidence, un grand malheur avait eu lieu. On fit venir le chef du village, l'apothicaire, le curé, et tous les personnages un tant soit peu importants de la ville pour apporter une explication. Yach se méfiait, ils commençaient à s'approcher de trop près, ils étaient nombreux, et ils en avaient tous après lui, il commença à se crisper. La foule recula, ce sauvage était vif, qui sait s'il n'avait pas dissimulé un coutelas sous la peau de bête qui le recouvrait. La foule et Yach s'observaient du coin de l'œil, comme deux chasseurs lors d'un rituel avant une lutte à mort. Ce fut Vladimir qui débloqua la situation. Il déposa une immense marmite remplie jusqu'à ras bord d'une soupe bien grasse et bien épaisse. Une spécialité qu'il proposait dans son auberge et qui ravissait les clients. Il conservait jalousement sa recette pour lui seul, mais on voyait des morceaux de viande, des herbes, des légumes entiers qui avaient mijoté des heures et s'étaient mixés pour offrir un pot-au-feu succulent. Yach ne se préoccupa pas de la louche, la cuillère et l'écuelle, il plongea son visage jusqu'aux oreilles dans la marmite et avala à grandes gorgées sans pouvoir s'arrêter. Les légumes, les morceaux de viande, tout était aspiré en entier, sans mastication. Il n'avait pas le temps de mastiquer, il avait trop faim, et toute cette nourriture qui tombait à pic. Il n'avait jamais appris à conserver, à gérer, il se dépêcha de vider la marmite avant qu'elle ne disparaisse. C'était comme ça dans sa vie à lui, si un gibier se présentait, il ne fallait pas laisser passer l'occasion qui ne se représenterait probablement plus. Tout le village resta bouche bée en le regardant vider le contenu de la marmite. Il y avait bien là de quoi nourrir vingt personnes. Après avoir tout avalé, Yach n'hésita pas à lécher le fond de la marmite. Elle était propre, lavée, Yach se laissa choir sur le sol, il rota et ria à gorge déployée. Il était heureux. Son ventre lui faisait mal. 

 

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