Yach - Chapitre 3 - Prise de conscience


S'il avait pu se comparer avec d'autres nourrissons humains, Yach aurait constaté que sa croissance était vertigineuse, il ne grandissait pas à la vitesse d'un humain mais à celle d'un loup. Âgé d'un an, Yach était un jeune adulte. Il avait le physique et l'intelligence d'un jeune homme. Il avait peur de lui-même. Il avait bien remarqué qu'à chaque pleine lune, il se métamorphosait, il se transformait en un loup diaboliquement puissant qui avait faim de viande, de sang, de meurtre. La dernière plein lune l'avait laissé sur sa faim, il avait fini de manger les restes des cadavres de la transformation précédente et s'était résigné à sucer les os. Il était temps pour lui de quitter cet endroit, le garde-manger était vide. Il pleurait, il savait que s'il quittait ce lieu, c'était pour se mettre en quête de nourriture, qu'il allait encore massacrer tout un village. Il ne voulait pas faire de mal. Il s'arma de bonnes résolutions. Il devait se rapprocher des humains pour obtenir de la nourriture, mais dès que la pleine lune apparaîtrait, il s'éloignerait des humains. Il s'isolerait pour ne plus faire de mal à qui que ce soit, puis au matin, lorsque la pleine lune le laisserait en paix et qu'il retrouverait sa forme humaine, il pourrait aller au contact des humains. Yach était adulte, mais il pleurait et se sentait seul comme un enfant, il aurait tant voulu avoir quelqu'un à qui se confier, quelqu'un qui lui expliquerait ce qui lui arrivait et pourquoi il tuait tout le monde sans pouvoir se contrôler. Muni de ces bonnes intentions, il s'autorisa à quitter les ruines de qui avait été un campement et n'était plus qu'un charnier. Il continua en direction du sud, son instinct lui dictait d'aller vers le sud. Vers le sud, il y avait du mouvement, des explications à ses interrogations. Et de la viande, continua une petite voix malsaine dans sa tête. Les températures étaient plus clémentes en marchant au sud, la vie y serait moins rude. Et les proies moins fortes, lui répondit la petite voix. Il marcha des jours et des jours. Il pleurait car la petite voix glapissait de bonheur, elle savait que là où l'herbe remplace la neige, les mâchoires des prédateurs sont remplacées par les dents inoffensives des ruminants. Elle se régalait d'avance, et plus elle salivait, plus Yach s'inquiétait de savoir ce qui pouvait réjouir la petite voix qu'il ne contrôlait pas. Après de nombreux jours de marche, il renifla une multitude d'odeurs. De la vie, beaucoup de vie, il la sentait. Là-bas son destin l'attendait. Tant d'odeurs. Il se mit à courir et à japper. Quel bonheur ! Tout cette vie, c'était son paradis à lui. Et puis il s'effondra en se martelant le visage de coups de poings, il se tapait la tête sur le sol. Il venait de réaliser que la petite voix avait pris possession de lui, c'était elle qui était heureuse, qui jappait, mais cette petite voix était malsaine, elle allait causer des malheurs, il n'en doutait pas. Alors il pleura, se roula dans les éboulis en maltraitant son corps, il ne voulait pas faire de mal à qui que ce soit, il se mutilait car il se détestait. A bout de forces, il resta prostré au sol, sans un mouvement, sans une expression. Il ne ressentait plus rien qu'une immense lassitude. Il avait faim. S'il ne voulait pas mourir, il devait rejoindre les odeurs. Il se leva sans sécher ni ses larmes, ni la morve qui s'écoulait jusque sur ses lèvres charnues. Il n'eut pas même l'envie de lancer sa longue langue pour se nettoyer le bas du visage. Peu lui importait ses blessures, son inconfort, il allait mourir de faim.

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