S'il avait pu se comparer avec
d'autres nourrissons humains, Yach aurait constaté que sa croissance
était vertigineuse, il ne grandissait pas à la vitesse d'un humain
mais à celle d'un loup. Âgé d'un an, Yach était un jeune adulte.
Il avait le physique et l'intelligence d'un jeune homme. Il avait
peur de lui-même. Il avait bien remarqué qu'à chaque pleine lune,
il se métamorphosait, il se transformait en un loup diaboliquement
puissant qui avait faim de viande, de sang, de meurtre. La dernière
plein lune l'avait laissé sur sa faim, il avait fini de manger les
restes des cadavres de la transformation précédente et s'était
résigné à sucer les os. Il était temps pour lui de quitter cet
endroit, le garde-manger était vide. Il pleurait, il savait que s'il
quittait ce lieu, c'était pour se mettre en quête de nourriture,
qu'il allait encore massacrer tout un village. Il ne voulait pas
faire de mal. Il s'arma de bonnes résolutions. Il devait se
rapprocher des humains pour obtenir de la nourriture, mais dès que
la pleine lune apparaîtrait, il s'éloignerait des humains. Il
s'isolerait pour ne plus faire de mal à qui que ce soit, puis au
matin, lorsque la pleine lune le laisserait en paix et qu'il
retrouverait sa forme humaine, il pourrait aller au contact des
humains. Yach était adulte, mais il pleurait et se sentait seul
comme un enfant, il aurait tant voulu avoir quelqu'un à qui se
confier, quelqu'un qui lui expliquerait ce qui lui arrivait et
pourquoi il tuait tout le monde sans pouvoir se contrôler. Muni de
ces bonnes intentions, il s'autorisa à quitter les ruines de qui
avait été un campement et n'était plus qu'un charnier. Il continua
en direction du sud, son instinct lui dictait d'aller vers le sud.
Vers le sud, il y avait du mouvement, des explications à ses
interrogations. Et de la viande, continua une petite voix malsaine
dans sa tête. Les températures étaient plus clémentes en marchant
au sud, la vie y serait moins rude. Et les proies moins fortes, lui
répondit la petite voix. Il marcha des jours et des jours. Il
pleurait car la petite voix glapissait de bonheur, elle savait que là
où l'herbe remplace la neige, les mâchoires des prédateurs sont
remplacées par les dents inoffensives des ruminants. Elle se
régalait d'avance, et plus elle salivait, plus Yach s'inquiétait de
savoir ce qui pouvait réjouir la petite voix qu'il ne contrôlait
pas. Après de nombreux jours de marche, il renifla une multitude
d'odeurs. De la vie, beaucoup de vie, il la sentait. Là-bas son
destin l'attendait. Tant d'odeurs. Il se mit à courir et à japper.
Quel bonheur ! Tout cette vie, c'était son paradis à lui. Et
puis il s'effondra en se martelant le visage de coups de poings, il
se tapait la tête sur le sol. Il venait de réaliser que la petite
voix avait pris possession de lui, c'était elle qui était heureuse,
qui jappait, mais cette petite voix était malsaine, elle allait
causer des malheurs, il n'en doutait pas. Alors il pleura, se roula
dans les éboulis en maltraitant son corps, il ne voulait pas faire
de mal à qui que ce soit, il se mutilait car il se détestait. A
bout de forces, il resta prostré au sol, sans un mouvement, sans une
expression. Il ne ressentait plus rien qu'une immense lassitude. Il
avait faim. S'il ne voulait pas mourir, il devait rejoindre les
odeurs. Il se leva sans sécher ni ses larmes, ni la morve qui
s'écoulait jusque sur ses lèvres charnues. Il n'eut pas même
l'envie de lancer sa longue langue pour se nettoyer le bas du visage.
Peu lui importait ses blessures, son inconfort, il allait mourir de
faim.
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