Yach - Chapitre 2 - Festin

Yach gesticulait dans la neige, il pleurait à chaudes larmes, son petit corps tout bleui par le froid. Les solides chasseurs regardèrent d'un œil attendri ce petit d'homme livré sans défense à la sévérité des éléments naturels. Qu'il était mignon, qu'il était attendrissant, on l'aurait croqué d'amour. Devant un petit bouchon si adorable, ils ne prirent pas la peine de se demander comment il était arrivé là. Il avait la tête d'un petit Ishn, et jamais les Ishn n'abandonnent les leurs. Peu importait, que ce soit un ange qui l'ait déposé là, ou que ses parents l'aient abandonné, ils ne pouvaient pas le laisser à son triste sort. Et puis ils n'en avaient aucune intention, il était si craquant, une bouille toute rigolote. Ils le réchauffèrent en le recouvrant d'une peau, et le frictionnèrent pour faire circuler le sang. Tous voulaient le cajoler. Le bébé fit le tour des bras. Ils le nourrirent avec du très précieux mas très nourrissant lait d'ourse. Très précieux car il n'y avait que deux méthodes pour obtenir ce lait. La première était de traire une ourse allaitante, mais personne n'y était jamais arrivé. La deuxième était de tuer une ourse en fin de période d'allaitement, pour ne pas condamner également son petit, et de récupérer immédiatement le lait. La température ambiante se chargeait de le congeler pour le conserver. Yach riait. Une tribu prenait soin de lui. Il n'avait plus froid, il n'avait plus faim, il était en sécurité. Les chasseurs l'installèrent confortablement dans un traîneau, et prirent le chemin du campement. Les jours suivants furent des moments de bonheur pour Yach, il s'épanouissait, chouchouté par les femmes de la tribu. La vie était suffisamment difficile dans cette contrée glaciale pour que les différentes tribus cherchent à éviter toute querelle les unes avec les autres. La famine n'était jamais très loin, une ultime tempête de neige était toujours à l'affût, il n'était guère nécessaire d'aider la faucheuse dans sa triste besogne. Aussi fut-il décidé que quelques valeureux chasseurs ramèneraient le petit Ishn aux siens, vers le nord. Quelle animation dans la tribu, pensez-vous, un petit homme qui apparaissait comme cela, au milieu de la neige, les discussions allaient bon train autour d'un verre de graisse de phoque tiède. Le bonheur s'accrochait à ce campement, autour du feu frétillant, des danses et des chansons. La lune regardait d'un œil mauvais ce bonheur. Son premier quartier s'effaçait. La pleine lune n'avait pas eu le temps de se manifester que les chiens avaient déjà compris. Ils paniquaient, ils s'agitaient, ils hurlaient à la mort. Jamais ils ne s'étaient comportés comme cela. Les anciens de la tribu s'inquiétèrent également, ils faisaient confiance à l'instinct des chiens. Qu'est-ce qui pouvait faire paniquer les chiens à ce point ? Yach ne paniquait pas. Au contraire, plus la lune se dévoilait et plus il sentait ses forces augmenter. La lune le dopait. Il la trouvait jolie, elle lui souriait. Elle était comme une présence amie. Yach avait faim, il voulait de la viande, il se lécha les babines pendant que les hommes se débattaient pour contenir les chiens qui tiraient sur leur laisse à s'en briser le cou. L'un des chiens réussit à arracher le pieu où était fixée sa laisse, il se précipita vers Yach. Malgré la nuit, la pleine lune éclairait le campement et Yach vit le chien se jeter sur lui. Il n'eut pas le temps d'avoir peur. Les dents de Yach se plantèrent dans la nuque du chien et le tuèrent sur le coup. Yach se sentait invulnérable, il avait une pleine conscience des événements. Il savait qu'il n'était qu'un bébé d'à peine de six mois, et pourtant il faisait des sauts de plusieurs mètres, il regarda ses pattes velues et puissantes, ses griffes acérées, il comprit qu'il n'était plus Yach, il était une puissante bête sanguinaire qui avait faim. Il égorgea les chiens un à un, en ricanant, ils n'étaient que de frêles cousins domestiqués. Autant livrer un chat à un tigre. Lorsque la pleine lune s'effaça pour laisser place au dernier quartier, plus aucun souffle de vie autre que Yach n'animait le campement. La lune emporta avec elle ses sortilèges et ses secrets. Il ne restait au petit matin qu'un enfant repu et en pleine santé, mais apeuré et qui comprenait que la situation présente était anormale, et qu'il avait fait une grosse bêtise. Yach avait grandi, il n'était âgé que de quelques mois, mais il avait la maturité d'un louveteau. Il comprit que la lune avait tué tous ses amis, toute cette tribu qui prenait soin de lui, le choyait, le nourrissait, le dorlotait. Il se coucha sur le côté et pleura. Il était seul.

Chapitre 3 - Prise de conscience

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