Yach - Chapitre 19 - Locera

La louve guérissait lentement, la blessure était profonde, ce fichu piège avait été bien conçu, il lui avait quasiment brisé la patte. La faim les tenaillait tous les deux. Yach ramassa des châtaignes et cueillit des baies sauvages. Il voulut les partager avec sa compagne d’infortune, mais elle lui lança un regard incrédule comme si elle voulait lui dire :
— Que veux-tu que je fasse avec tes trois châtaignes et tes deux groseilles ?
Yach comprit qu’ils avaient un problème. La louve était trop handicapée pour chasser. Elle était en train de mourir de faim. Alors Yach eut une idée géniale. Ce piège de cauchemar était une arme redoutable, pourquoi ne pas l’utiliser ? Il referma le piège, le déterra, l’emmena avec lui. Il courut tout droit pendant plusieurs heures sous le vent, pour positionner le piège dans un endroit où la future proie ne sentirait pas leur présence. A son retour, la louve accourut vers lui en glapissant comme une renarde, il lui avait manqué, elle avait craint qu’il ne soit parti pour toujours. Elle lui fit une fête comme aucun humain ne lui avait jamais fait. Quelques jours plus tard, il retourna vérifier l’état du piège. La louve était moins anxieuse, elle lui faisait confiance, elle avait compris qu’il pouvait s’absenter mais qu’elle pouvait compter sur son retour. Pourtant son absence fut beaucoup plus longue cette fois-ci. Elle avait confiance. Lorsqu’elle le vit revenir, traînant derrière lui une biche, elle éprouva un bonheur indescriptible. Yach rit de bon cœur en voyant son expression de satisfaction. Son épopée s’achevait enfin, il avait réussi. Lorsqu’il était arrivé sur les lieux où il avait posé le piège, il s’était inquiété en voyant une biche emprisonnée. Que devait-il faire ? Que pouvait-il faire ? Il se sentait bien impuissant face à cette biche, même si elle avait une patte immobilisée. Et puis il avait songé à la louve, qui l’attendait tout là-bas, mourant de faim à petit feu. Alors il n’avait plus hésité, il avait saisi une grosse pierre et avait frappé de toutes ses forces la tête de la biche, à plusieurs reprises, et il avait encore continué lorsqu’elle fut au sol, jusqu’à ce qu’elle ne bouge absolument plus. Puis il avait retiré la fixation du piège autour de l’arbre, avait posé les pattes arrières sur ses épaules, et s’était mis en route, en tirant cette proie qui allait sauver la louve. A présent qu'il était revenu, il était récompensé de ses efforts en voyant la louve manger autant qu’elle pouvait.
— Mange, mange, vas-y, deviens forte, l’encourageait-il.
La louve ne se fit pas prier. Elle se rassasiait, se lavait, digérait en se lovant contre Yach, puis recommençait le cycle. Elle reprenait des forces, lentement. Elle n’était pas pressée, elle n’avait rien de mieux à faire que de câliner Yach. Lui avait mis temporairement entre parenthèses son empressement à courir vers son destin. Il trouvait auprès de la louve un peu de repos. Elle ne le jugeait pas, elle l’acceptait tel qu’il était.
— Il te faut un nom, décréta Yach.
La louve le regardait tendrement, elle se contenta d’un grognement approbateur.
— Je t’appellerai Locera.
Ainsi fut dit, ainsi fut fait. A partir de cet instant, Yach s’adressa à la louve par le prénom qu’il lui avait choisi. Yach découvrait l’insouciance, le temps qui s’écoule sans but, l’écoute des sons de la forêt, l’harmonie de la nature. Il en avait oublié que son temps à lui était rythmé par la lune. Il se le rappela en sentant ses forces grandir sans raison apparente. Il se sentait plus fort, plus agressif, les canines le démangeaient. Il comprit. Il leva les yeux vers les étoiles et ne fut pas étonné de voir la lune gibbeuse croissante. Très bientôt ce serait la pleine lune, il savait ce que cela signifiait.

Chapitre 20 - Dilemme cornélien

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