La louve guérissait lentement, la
blessure était profonde, ce fichu piège avait été bien conçu, il
lui avait quasiment brisé la patte. La faim les tenaillait tous les
deux. Yach ramassa des châtaignes et cueillit des baies sauvages. Il
voulut les partager avec sa compagne d’infortune, mais elle lui
lança un regard incrédule comme si elle voulait lui dire :
— Que veux-tu que je fasse
avec tes trois châtaignes et tes deux groseilles ?
Yach comprit qu’ils avaient un
problème. La louve était trop handicapée pour chasser. Elle était
en train de mourir de faim. Alors Yach eut une idée géniale. Ce
piège de cauchemar était une arme redoutable, pourquoi ne pas
l’utiliser ? Il referma le piège, le déterra, l’emmena
avec lui. Il courut tout droit pendant plusieurs heures sous le vent,
pour positionner le piège dans un endroit où la future proie ne
sentirait pas leur présence. A son retour, la louve accourut vers
lui en glapissant comme une renarde, il lui avait manqué, elle avait
craint qu’il ne soit parti pour toujours. Elle lui fit une fête
comme aucun humain ne lui avait jamais fait. Quelques jours plus
tard, il retourna vérifier l’état du piège. La louve était
moins anxieuse, elle lui faisait confiance, elle avait compris qu’il
pouvait s’absenter mais qu’elle pouvait compter sur son retour.
Pourtant son absence fut beaucoup plus longue cette fois-ci. Elle
avait confiance. Lorsqu’elle le vit revenir, traînant derrière
lui une biche, elle éprouva un bonheur indescriptible. Yach rit de
bon cœur en voyant son expression de satisfaction. Son épopée
s’achevait enfin, il avait réussi. Lorsqu’il était arrivé sur
les lieux où il avait posé le piège, il s’était inquiété en
voyant une biche emprisonnée. Que devait-il faire ? Que
pouvait-il faire ? Il se sentait bien impuissant face à cette
biche, même si elle avait une patte immobilisée. Et puis il avait
songé à la louve, qui l’attendait tout là-bas, mourant de faim à
petit feu. Alors il n’avait plus hésité, il avait saisi une
grosse pierre et avait frappé de toutes ses forces la tête de la
biche, à plusieurs reprises, et il avait encore continué
lorsqu’elle fut au sol, jusqu’à ce qu’elle ne bouge absolument
plus. Puis il avait retiré la fixation du piège autour de l’arbre,
avait posé les pattes arrières sur ses épaules, et s’était mis
en route, en tirant cette proie qui allait sauver la louve. A présent
qu'il était revenu, il était récompensé de ses efforts en voyant
la louve manger autant qu’elle pouvait.
— Mange, mange, vas-y,
deviens forte, l’encourageait-il.
La louve ne se fit pas prier. Elle
se rassasiait, se lavait, digérait en se lovant contre Yach, puis
recommençait le cycle. Elle reprenait des forces, lentement. Elle
n’était pas pressée, elle n’avait rien de mieux à faire que de
câliner Yach. Lui avait mis temporairement entre parenthèses son
empressement à courir vers son destin. Il trouvait auprès de la
louve un peu de repos. Elle ne le jugeait pas, elle l’acceptait tel
qu’il était.
— Il te faut un nom, décréta
Yach.
La louve le regardait tendrement,
elle se contenta d’un grognement approbateur.
— Je t’appellerai Locera.
Ainsi fut dit, ainsi fut fait. A
partir de cet instant, Yach s’adressa à la louve par le prénom
qu’il lui avait choisi. Yach découvrait l’insouciance, le temps
qui s’écoule sans but, l’écoute des sons de la forêt,
l’harmonie de la nature. Il en avait oublié que son temps à lui
était rythmé par la lune. Il se le rappela en sentant ses forces
grandir sans raison apparente. Il se sentait plus fort, plus
agressif, les canines le démangeaient. Il comprit. Il leva les yeux
vers les étoiles et ne fut pas étonné de voir la lune gibbeuse
croissante. Très bientôt ce serait la pleine lune, il savait ce que
cela signifiait.
Chapitre 20 - Dilemme cornélien
Chapitre 20 - Dilemme cornélien
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