— Et un enchanteur
maintenant, ils vont me faire tourner en bourrique longtemps ?
Yach en avait assez de ces
pérégrinations. Il ne se sentait pas l’âme d’un ménestrel. Il
n’aspirait qu’à vivre en paix sans ce mauvais sort, et si pour
cela il devait rencontrer un enchanteur, il se plierait à cette
exigence de la vieille sorcière. Il n’avait perdu que trop de
temps sur ces chemins caillouteux et difficilement praticables.
Personne n’était là pour le voir, alors, après une hésitation,
il se laissa tomber en avant jusqu’à ce que ses mains touchent le
sol. Il était à quatre pattes. La position était très
confortable, mais il avait honte d’adopter l’attitude d’un
animal. Il n’empêche que pour se déplacer, rien n’était plus
rapide. Pourquoi diable les humains avaient eu l’idée saugrenue de
se déplacer sur deux pattes ? Avec deux pattes dont l’une
avance, ils étaient constamment en équilibre précaire sur une
jambe. Tout de même, quelle espèce étrange et peu intelligente !
Ils étaient gentils, c'est certain, mais c’était la gentillesse
des niais, des faibles, de ceux dont les canines avaient peine à
croquer une pomme, et dont les minces lèvres ne permettaient pas de
brouter l’herbe. En y songeant, Yach se disait qu’il était même
surprenant que les humains ne meurent pas de faim, inaptes comme ils
l’étaient dans la quête de nourriture. Bond après bond, à
quatre pattes, il s’élança en direction du soleil. Il était
pressé d’en finir. Il avait retrouvé sa vigueur. Il se sentait
fort car il avait l’intelligence du loup et la gentillesse des
humains. Il était d’une race supérieure. Il monta des collines
qu’il dévalait ensuite jusqu’à la plaine. De forêts en
paysages rocailleux de montagne, il avala des distances
impressionnantes. Ses narines frémirent, il sentit une odeur
familière qu’il ne parvenait pas à définir. Il était aux
aguets, cherchant à mettre un nom sur ce qu’il percevait. Il
continua sa route. L’odeur se faisait plus forte. Son ouïe lui
apporta une information supplémentaire. Oui, c’était bien cela,
des loups, une horde de loups. Il fut surpris de cette découverte.
Jamais il n’avait songé qu’un jour, il se retrouverait face à
des loups. Il faut dire qu’il était humain, et les humains
fuyaient les loups. Mais aujourd’hui il était pressé, il n’avait
pas le temps de fuir, et il ne pouvait pas, il devait avancer en
direction du soleil, et rien ne le détournerait de son chemin. Il
finit tout de même par marquer une pause, car l’odeur changeait.
Il ne savait comment l’expliquer, c’était juste une impression,
mais également une certitude. L’impression, de familière au
début, devenait dérangeante. Puis elle devint inquiétante,
agressive. Tant pis, même s’il allait au-devant d’ennuis, il ne
pouvait s’orienter que vers le soleil. L’odeur devint moins
forte, plus triste aussi. Il y avait eu beaucoup de changements dans
ses sensations qu’il ne réussissait pas à expliquer. La horde
était partie, c’était cela, il ne décelait que peu de présences,
peut-être un ou deux loups restés en arrière pour protéger la
meute. Cette pensée l’inquiéta, les loups ne se séparent jamais,
ils restent soudés, leur force est dans leur union et leur
hiérarchie, un loup isolé peut devenir proie à son tour car il
s’affaiblit à se nourrir de rongeurs. Seul, il ne peut plus
chasser de gros gibier, et un campagnol à croquer ne fait office que
d’amuse-gueule. Il pressentait qu’il allait devoir affronter les
loups restés à l’arrière pour protéger la meute, et quand bien
même il serait vainqueur, l’alerte serait donnée et ce serait
ensuite toute la meute qu’il faudrait affronter. Yach ne pouvait
pas mourir, pas maintenant, s’il devait mourir, que ce soit en
homme, pas en animal hanté par un sortilège. Des larmes perlèrent
sur ses joues, il allait au-devant de sa mort, il le sentait, mais il
ne pouvait aller nulle part ailleurs. Son odorat ne le trompait pas,
un ou deux loups maximum étaient restés sur leur lieu de vie, car
plus il se rapprochait, et plus la faible odeur se précisait. Il
ferma les yeux et accéléra. Autant précipiter sa fin. La mort
plutôt que son attente dans l’angoisse. L’odeur se précisait,
ce n’était pas une odeur de gardien méfiant, plutôt une odeur
craintive, apeurée, rassurante. Une femelle, voilà d’où
provenait l’impression rassurante et familière. Il s’agissait
d’une femelle. Il en était certain à présent. Un louve effrayée
était restée en retrait de la meute.
Chapitre 18 - Ne jamais renoncer
Chapitre 18 - Ne jamais renoncer
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