Le vent soufflait si fort que ses
tympans lui faisaient mal. L’espace d’un instant, il chercha à
fuir cette forêt démoniaque, mais il se ravisa aussitôt. Tout se
passait comme Anton l’avait dit, et si tout se passait comme prévu,
alors au bout de son infernal voyage, il rencontrerait Watiba qui le
sauverait de sa triste existence. Le jeu en valait la chandelle. Il
avança à quatre pattes, incapable de se relever à cause des
multiples contusions causées par sa chute. Il était fourbu,
endolori, harassé, mais jamais il n’abandonnerait. Devant lui
s’étendaient un champ d’arbustes hauts d’environ quarante
centimètres. Leurs branches se terminaient par de jolies fleurs
violettes aux étamines jaune vif : les fleurs qu’avait
mentionné Anton. Il en saisit une, et tira pour l’arracher. Rien à
faire, la tige résistait. Il tira encore plus fort, la tige ne céda
pas, ses mains glissèrent et le frottement le fit saigner. Allons
bon, que se passe-t-il encore, maugréa-t-il entre ses dents, en
s’étonnant de n’être pas plus surpris que cela. Il se passait
seulement que les tiges étaient incassables, impossible d’arracher
une de ses satanées fleurs. L’effort l’avait revigoré, il
parvint à se relever, et se remit en marche, à défaut de parvenir
à cueillir une fleur. Des rafales de vent accueillirent ses pas, il
manqua plusieurs fois de chuter, déséquilibré par la force du
vent, mais il fit front. Plus il avançait, et plus le vent soufflait
et sifflait. Le sifflement se fit plus strident, il devenait
insupportable, il semblait traverser les tympans et aller jusqu’au
cerveau qu’il irritait à en faire perdre connaissance. Yach se
releva, il ne se rappelait plus pourquoi il était au sol, mais un
souffle lui martelait la tête, il fit demi-tour. Une voix se fit
entendre :
— N’oublie pas les trois
magrittas, Yach.
— Qui êtes vous ? Où
êtes-vous ? hurla Yach, effrayé et souffrant.
— Tu ne me reconnais pas, dit
la voix, je suis Xodus, le serviteur de Watiba, j’ai déjà guidé
tes pas dans la forêt de cyprès.
— Je ne veux pas toi, pleura
Yach à l’attention de ce serviteur de malheur dont il se serait
bien dispensé.
— Soit, je te laisse à ton
destin, mais tu ne parviendras pas à avancer sans les magrittas.
— Magrittas pas d’accord
pour se laisser cueillir.
— Contrôle tes sentiments.
Maîtrise ta violence. Aime les magrittas. Embrasse-les et ils
t’aideront.
ça,
pour une surprise, c’était une surprise, les aimer et les
embrasser. Jamais dans sa vie Yach n’avait embrassé quoi que ce
soit, ni n’avait été embrassé. Il ne savait ni comment s’y
prendre, ni comment interpréter ces paroles. Les fleurs violettes et
jaunes étaient partout autour de lui. Il en saisit à nouveau une à
plein main, et au lieu de tirer comme un forcené, il posa
délicatement ses lèvres sur la tige, comme il l’avait vu faire
chez les humains lorsqu’une mère avait déposé un baiser sur le
front de son bébé. La fleur resta dans la main de Yach, la tige
était coupée nette. Une coupure franche et propre. Yach était
hébété. Il s’était exténué à tenter d’arracher cette
maudite fleur, et voilà qu’elle tombait sans effort. Il n’y
comprenait rien. Il recommença le rituel avec deux autres fleurs et
se remit en marche, tout sourire, avec ses trois fleurs dans la main.
Le vent soufflait toujours avec autant de force, mais il semblait
contourner Yach, sans le toucher, sans l’incommoder. Le vent jeta
son dévolu sur une plante grimpante qui couvrait un rocher immense.
La plante fut soulevée dans les airs par la force du vent, dévoilant
un trou béant dans le rocher : l’entrée d’une grotte.
Cette apparition soudaine fit sursauter Yach, il était surpris et
inquiet, que pouvait-il y avoir dans la grotte ? Yach fit
quelques pas à l’intérieur, piqué par la curiosité. Un noir
total et silencieux régnait à l’intérieur, il avança à tâtons,
les mains devant lui pour se protéger. Le calme et le silence
étaient angoissants. Son pied dérapa légèrement mais il lui fut
impossible d’enrayer la chute, tout son corps suivit. Il tomba dans
un trou creusé à même le sol et glissa comme sur un toboggan. Il
était trempé, le souterrain était accompagné d’une fine cascade
d’eau. Sa chute se termina dans un bassin d’eau limpide. Des
rayons du soleil obliquaient vers le bassin en traversant une
anfractuosité dans la roche. Yach était heureux comme un enfant
dans une bassine d’eau en plein été, il ne savait pourquoi, mais
tout concourrait à son bien-être : l’eau du bassin était
d’un bleu turquoise pur, la température était agréable, la
lumière douce et rassurante. Sur le bord du bassin, un lapin fit son
apparition. Vision surprenante en ce lieu. Le lapin adressa un
sourire à Yach, et lui parla :
— Bonjour Yach, heureux de te
retrouver. Tu te rappelles de moi, je suis le lapin que tu as dévoré
dans la forêt de cyprès.
Chapitre 16 - Watiba
Chapitre 16 - Watiba
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