Yach courut plusieurs heures sans
s’arrêter, il était en proie à une panique incontrôlable. Les
événements passés l’inquiétaient au plus haut point. Tout se
déroulait comme le lui avait prédit Anton, aux détails près qu’à
chaque passage nouveau sur son chemin, il rencontrait une épreuve
inhabituelle qui se terminait par une mort. Il courait pour ne plus
être stoppé par un nouvel animal, pour atteindre Watiba sans causer
aucun tort à quelque être que ce soit. Il franchit le fleuve Watéro
sans s’en apercevoir, il avait continué de courir dans l’eau
sans réfléchir, et lorsque la hauteur d’eau l’avait empêché
d’avancer debout, il avait terminé la traversée en nageant, et
arrivé sur l’autre rive, il s'était remis à courir comme si le
fleuve n’avait jamais existé. Yach était possédé par un démon.
Rien ne pouvait l’arrêter. Le chemin rétrécissait, il réalisa
que la plaine dans laquelle il courait était en fait un plateau au
sommet d’une montagne qui se terminait par une falaise
vertigineuse. Peu lui importait, il y avait une passerelle tendue
au-dessus du vide qui s’enfonçait dans le ciel jusqu’au col de
la montagne suivante, il continua à courir sur la passerelle qui
tangua dangereusement. Il dut saisir la corde pour ne pas perdre
l’équilibre, mais pour rien au monde il n’aurait cessé
d’avancer. Il ne put s’empêcher de jeter un œil sous ses pieds,
et le vide lui tourna la tête. Homme ou loup, la peur du vide est
inscrite dans les gênes. Il se ressaisit rapidement, fixa du regard
son objectif, et avança, un pas après l’autre, comme autant de
victoires sur le destin. Il rejoignit à nouveau la terre ferme, la
crête était minuscule en comparaison du plateau qu’il avait
quitté. Juché entre deux énormes rochers, un nid d’oiseau avait
été confectionné, comme suspendu au-dessus du vide. Piqué par la
curiosité, il s’approcha. A l’intérieur du nid étaient
disposés des œufs énormes. Yach prit un caillou pointu et brisa
une coquille, il ouvrit l’œuf en deux, et se rassasia goulûment
de son contenu. Il n’avait pas songé à se nourrir depuis si
longtemps qu’il ne pouvait se retenir à la vue de la moindre
denrée comestible. Il goba le contenu de tous les œufs, rota, se
laissa tomber au sol, et sourit. Il ne profita guère de son repos,
des tenailles puissantes lui écrasèrent les épaules, il s’envola
dans les airs. Il leva la tête, un aigle immense le tenait dans ses
serres. La pression sur ses épaules se relâcha, il était au-dessus
du vide, si haut qu’il ne distinguait pas les détails au sol. Il
commença à chuter, il pédala des jambes, mais il ne fit que
mouliner du vent. Il hurla, il tombait à une vitesse vertigineuse.
Rien n’y faisait, au contraire, toute tentative de lutter contre la
gravité augmentait son déséquilibre mais ne ralentissait pas sa
chute. Il se résigna. Il était l’heure de mourir. Un sifflement
flûté résonna dans ses oreilles. Il tourna la tête vers ce cri de
trompette, dans une position inconfortable à cause de sa chute
interminable. L’oiseau fondait sur lui. A nouveau il ressentit une
forte douleur au niveau des épaules, et tout son sang, tous ses
organes, furent envoyés vers ses pieds. Et il plana, il volait.
L’aigle l’avait rattrapé en plein vol. Ils survolèrent des
zones rocailleuses, des pâturages où de herbivores paissaient
paisiblement. En voyant surgir l’aigle, c’était la panique parmi
les ruminants, ils décampaient en tous sens. L’aigle ne leur
accordait aucun intérêt, il inclina son vol, fit dos au soleil, et
amorça une descente, comme s’il avait l’intention de se poser.
Yach commença à espérer que son voyage aérien involontaire prenne
fin, il n’était qu’à quelques mètres du sol. Si près du but,
l’oiseau de malheur eut la mauvaise idée de le lâcher à nouveau.
Yach rebondit sur le sol mais la pente de la montagne était si raide
qu’il roula et continua à chuter en rebondissant sur le sol. Il
dévala ainsi plusieurs centaines de mètres avant de s’immobiliser
dans un bois où le vent semblait jouer à cache-cache avec les
arbres. Il se rappela les paroles d’Anton qui prenaient valeur de
prophétie à cet instant. Le bois au vent qui rend fou. Cueillir
trois magrittas.
Chapitre 15 - Fichu lapin
Chapitre 15 - Fichu lapin
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