Yach trottait d’un pas léger.
Certes l’épisode du corbeau l’avait chagriné, mais ce n’était
qu’une mésaventure sans suite. Le sentier montait abruptement en
lacet. Yach poursuivit cahin-caha l’ascension du mont. Il ne
connaissait pas sa route mais Anton l’avait rassuré sur ce point
" le chemin te sera révélé, il te suffira d’avancer,
juste avancer sans jamais renoncer ". Effectivement, après
seulement quelques heures de marche, il découvrit la forêt de
cyprès que lui avait décrit Anton. Ils étaient bien là, comme
dans l’image qu’il s’en était faite. Des cyprès hauts,
droits, alignés, fiers. C’était la première fois que Yach voyait
de tels arbres. Nadeshda, la sorcière, avait prévenu de se tenir
sur ses gardes. Ces cyprès étaient magiques, ils ne poussaient
normalement jamais dans cette région, ceux-ci étaient les
serviteurs de Watiba. Yach pénétra dans la forêt avec insouciance,
elle ne semblait pas très impressionnante avec ses arbres plantés
au cordeau. Son attention fut attirée par le glapissement d’un
pauvre lapin qui s’était pris les deux pattes dans un piège. Qui
avait bien pu poser un piège dans cet endroit isolé ? Sans
attendre la réponse, Yach porta secours au lapin. Il ouvrit les
mâchoires du piège et le pauvre animal put enfin se dégager. Il se
laissa tomber sur le côté, incapable d’avancer avec ses deux
pattes brisées. Des larmes montaient aux yeux de Yach devant ce
spectacle triste et injuste. Le petit lapin couinait de douleur, mais
Yach ne savait pas comment le soigner. Il ne pouvait rien faire pour
lui et en était désolé. Yach reprit sa route, ne pouvant rien
faire de mieux. Il avait soif et faim. Il n’avait rien avalé de la
journée. Il n’avait pas même croisé une cascade où il aurait pu
se désaltérer. Il continua à marcher durant la nuit, la forêt de
cyprès semblait interminable, il s’enfonçait à l’intérieur
avec de plus en plus de difficultés, la faim lui tenaillait le
ventre à présent. Il marcha des heures et des heures dans une
monotonie et une solitude totale. Il tomba, de fatigue ou de faim, il
ne le savait pas, d’épuisement général. Et son ventre lui
faisait mal. Il devait manger et boire s’il ne voulait pas mourir.
Il repensa au petit lapin. Sa petite bouille attendrissante, ses yeux
cajoleurs, et toute cette souffrance dans le regard à cause de ses
pattes brisées. Quel malheur ! Il fit demi-tour, sa décision
était prise, s’il ne s’alimentait pas, il mourrait. Le lapin
était condamné, avec ses pattes arrières inutilisables, il ne
survivrait pas. Inutile de mourir à deux. Il allait manger le lapin.
Il marcha bien plus vite qu’à l’aller. Il lui fallait faire vite
pour attraper le lapin avant de mourir d’épuisement. Il trottait
avec l’énergie de ceux qui ont senti la mort à leurs trousses. Le
jour pointait lorsqu’il rejoint son point de départ. Il avait
marché près de quinze heures pour rien. A un détail près :
le lapin. Le lapin n’avait pas bougé d’un centimètre. Chaque
tentative de déplacement lui arrachait un cri de douleur. Yach ne
pensa plus à rien. Il regarda fixement le lapin, puis se jeta sur
lui, une main enserrant la base du cou, au niveau du poitrail, et
l’autre tenant fermement la tête. Le lapin une fois maintenu, il
mordit à pleines dents et lui arracha en une bouchée la moitié du
cou. Yach était heureux, il mangeait. Le sang coulait, Yach ne
voulait pas en perdre une goutte. Il souleva le lapin et se mit
dessous pour recueillir le sang. Yach était heureux, il buvait. Les
forces lui revenaient. Son ventre ne gargouillait plus. Il dévora le
lapereau sans oublier un seul lambeau de chair. Un cri de frayeur
retentit. C’était Yach, qui soudain tremblait comme une feuille
morte. Son regard était fixé sur un arbre dont un nœud s’était
animé comme une bouche. L’arbre parla :
— Soit
le Bienvenu Maître. Et les cyprès se courbèrent en signe de
respect, ce qui eut pour effet d’augmenter le tremblement de Yach.
— Qui
parle ? bégaya Yach.
— Je
suis Xodus, le serviteur de Watiba, la princesse des ténèbres.
— Où
êtes-vous ?
— Vous
ne me voyez pas ? Nous sommes partout autour de vous. Nous vous
protégeons, nous sommes les cyprès.
— Pourquoi
vous m’appelez Maître ?
Un
rire diabolique se fit entendre.
— Seul
le Maître peut emprunter ce chemin et boire le sang du lapereau.
— Seulement
voir Watiba pour retirer mauvais sort.
— Vous
êtes la demeure du mauvais sort, l’incarnation de la Lune, comme
l’est Watiba, votre destin est de remplacer Watiba. Le mal a besoin
de vous. Là où vous passez ne subsiste que la mort.
Yach
était effrayé par ce qu’il entendait autant que par cette voix.
Il ne voulait être le maître de personne, il n’aspirait qu’à
aimer son prochain, cajoler ses petits comme il l’avait vu faire
dans le village. Il partit en courant, il en avait assez entendu, cet
arbre racontait n’importe quoi. Yach ne sèmerait pas la désolation
sur son passage, il pouvait changer sa destinée, il suffisait qu’il
le veuille suffisamment fort.
Chapitre 14 - Fin du voyage ?
Chapitre 14 - Fin du voyage ?
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