Dans cette région reculée de Sibérie, chacun luttait pour
survivre. Le froid vous glaçait jusqu'à la moelle sans aucune
pitié. La pitié n'avait pas place au rang des affamés. S'isoler du
froid, manger, se protéger des prédateurs, ne pas se faire manger,
tel était le quotidien. Un jour que les hommes étaient partis à la
recherche de nourriture et qu'il ne restait plus au campement que des
femmes et des enfants, des loups, que la faim rendait encore plus
intelligents qu'à l'accoutumée, attaquèrent la tribu des Ishn. Ce
fut un carnage. La meute de loups égorgea, déchiqueta, dévora, et
ne laissa aucun survivant, si ce n'est cet infime braillard, trop
petit et gesticulant pour que les loups repus se fatiguent à
l'avaler. Il avait surgit comme un diable lorsque le loup dominant
avait éventré la femme. Surpris, le loup avait eut un mouvement de
recul puis avait passé son chemin car d'autres morceaux de viande
l'attendaient. Les loups dévorèrent autant qu'ils purent, et
lorsque la viande leur eut rempli le ventre jusqu'au gosier, qu'une
bouchée supplémentaire aurait risqué de les étouffer, ils étaient
partis en emportant un dernier morceau entre les dents, une cuisse
d'enfant par ci, un bras de femme par là. Ils étaient repus et
heureux. Le loup dominant avait décidé du moment de la naissance de
Yach. Des forces occultes avaient décidé que Yach vivrait.
Prématuré, seul survivant, il se mit immédiatement en quête de
nourriture. Pas besoin de savoir marcher, il avait tout sur place, il
dévora ce que les loups avaient laissé de sa mère. La vie de Yach
commençait. Après sa mère, il mangea un à un les restes des
membres de sa tribu que le froid conservait parfaitement. Il acquit
des forces, il grandissait rapidement. Lorsque la nourriture commença
à manquer, il leva son museau en direction du vent et renifla. Le
vent venait de l'est, mais son flair ne lui apportait aucune nouvelle
rassurante. Il tourna les babines vers le nord, rien non plus par
là-bas. Il continua vers l'ouest, toujours pas de gibier à
renifler. Il partit au sud. Il courut pendant plusieurs jours puis
stoppa net sa course. Yach souriait. Quelle odeur ! De la
viande, beaucoup de viande. Des enfants sans défense, des femmes
dodues, il les sentait. Il salivait, son visage rayonnait, de la bave
coulait le long de ses robustes petites canines. Son visage se
crispa, il grogna, des hommes mais surtout des chiens, beaucoup de
chiens. Il renifla longuement pour mieux s'informer. Oui, sans aucun
doute, les chiens et les hommes vivaient ensemble, ils se
protégeaient mutuellement. La tâche était compliquée mais il ne
pouvait laisser passer pareille occasion. La faim lui tenaillait les
entrailles. Son attitude changea du tout au tout. Les proies étaient
là. Inutile à présent de courir. Yach était seul pour chasser, il
ne pouvait compter que sur lui. Il s'allongea sur le dos et se mit à
pleurer. Les chiens furent les premiers à entendre les pleurs du
bébé humain. Ils s'agitèrent, tirèrent sur leur laisse,
aboyèrent. Bébé ou pas, c'était un intrus, et ils gardaient leur
territoire contre les intrus. Les hommes prirent leur lances,
revêtirent leur peaux et embrassèrent leurs femmes avec inquiétude.
Dans ces contrées, tout nouvel événement était rarement de bon
augure. Rien de bon ne pouvait apparaître dans cet enfer. Ils
attelèrent les chiens aux traîneaux et prirent la direction des
pleurs.
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