Vive la Récidive - Chapitre 2

Moins d’une heure après, profitant d’être seul pour faire le ménage en grand, il fut à nouveau dérangé par l’ouverture de la porte. Même rengaine, un uniforme bleu avec un corps maigrelet qui s’agite à l’intérieur et annonce solennellement à la façon d’un héraut une nouvelle souvent sans intérêt, parfois majeure.
- Vous avez un arrivant, prononça la voix mécanique sans âme.
La trêve avait été de courte durée, pas même le temps de nettoyer la cellule. Pas moyen d’y échapper. Subir, subir, et se plaindre le moins possible.
Le nouvel arrivant semblait aussi perdu qu’un sou neuf dans une brocante. Jacques ne se sentait pas le courage de lui servir de tuteur, il avait bien assez de difficultés à gérer sa propre situation pour rester à flot sans sombrer. Ils restèrent chacun dans leur parcelle de cellule, évitant l’autre au maximum pour ne pas l’importuner, pour ne pas rajouter de désagréments supplémentaires à leur existence déjà compliquée. Les jours s’écoulèrent ainsi, dans un état de quiétude ennuyeuse mais apaisante. Jacques sortait peu en promenade. Il était partagé entre deux sentiments contraires. D’un côté, pour s’échapper de la cellule, respirer une bouffée d’air frais, il ne disposait que des deux promenades quotidiennes, une heure quinze le matin, une heure l’après-midi. D’un autre côté, le spectacle offert dans la cour de promenade était affligeant et il en revenait encore plus taciturne. La cour offrait le spectacle d’une société humaine dans toute sa bassesse et son désespoir. Un rassemblement de babouins avec pour seule règle primitive la Loi du plus fort. Pitoyable vision qui l’éloignait de l’humanité.

Un jour qu’il vagabondait comme un pauvre hère, il aperçut dans la cour mitoyenne, de l’autre côté du grillage, Majid qui marchait d’un pas dynamique, entouré de quelques gaillards à l’air décidé. Décidés à quoi, il se le demandait bien, entourés de béton et de grillage, toute aventure était vite étouffée dans l’œuf. Majid dominait le groupe sans volonté de sa part, le motif de son mandat de dépôt servait de modèle aux apprentis galériens. Il marchait en tête d’une formation pyramidale, son escadre se déployant de part et d’autre, légèrement en retrait pour laisser au chef naturel toute liberté de mouvement. Malgré cette gloire localisée, Majid n’hésita pas à piquer droit en direction de Jacques pour venir le saluer. Aller à sa rencontre était une grande marque de respect et de reconnaissance qu’il lui adressait, l’équivalent du PDG qui sort de la voiture dont le chauffeur ouvre la porte et fait un détour pour venir saluer le technicien de surface intérimaire.
- Comment vas cousin ? qu’il lui adressa sur un ton paternel mais amical.
Jacques haussa les épaules :
- La routine. Jamais rien de bien nouveau ici.
- ça se passe bien en cellule ?
- ça suit son cours.
- Ils t’ont remis un nouveau ?
- ça n’a pas traîné, t’étais à peine parti qu’un arrivant a pris ta place.
- Il est bien ? Il te prend pas la tête ? Si t’as un souci t’hésites pas, je lui ferai passer le message par l’auxi que t’es un gars bien et qu’il joue pas les caïds. Tu sais les caïds de cité, faut pas se laisser impressionner, c’est des baltringues. Tu me le dis, t’inquiètes.

Jacques sourit. Il ne savait pas pourquoi mais apparemment il avait gagné un ami. Le pourquoi il le comprendrait plus tard, avec l’expérience de la prison, en démystifiant la façade dont se parait chaque détenu. Majid l’appréciait car il était lui-même, ne cherchait pas à cacher son échec derrière des habits d’apparat. Jacques conservait sa dignité avec simplicité, il s’accrochait pour ne pas sombrer.
Majid réfléchit un instant, silencieusement. Son regard perçant scruta le ciel comme pour y trouver une réponse. Il arbora un large sourire accueillant pour demander à Jacques :
- ça te dirait d’être en triplette ?
Un cadeau comme celui-là ne se refusait pas. La triplette, nommée ainsi car elle accueillait trois détenus, jamais plus, était une cellule bien plus grande que la traditionnelle cellule individuelle où l’administration pénitentiaire entassait deux, voire trois détenus. La triplette était réservée aux privilégiés, car l’architecte des lieux n’en avait doté qu’une par aile, donc trois par étages, soit neuf par bâtiment, 45 pour la totalité de la prison, soit 135 détenus sur une capacité d’accueil officielle de 2 855 pour la plus grande maison d’arrêt d’Europe. Elle était si spacieuse que l’on pouvait marcher à l’intérieur, ce qui était inenvisageable dans un cellule classique d’une surface de 9 m² auxquels il fallait retrancher l’espace occupé au sol par les wc et leur symbolique muret de séparation, la table, l’armoire, le lit. Plus important mais non visible, à deux détenus seulement, on communique toujours avec la même personne. A trois, on nage en pleine diversité, on a le choix, et avoir le choix, en prison, est un luxe rare. Si l’un désire un peu de solitude, il peut s’isoler. S’il souhaite parler, une discussion peut s’entamer à deux ou trois. Trois détenus ont chacun le choix de communiquer ou pas. Il n’y a aucune pression. être en droit de choisir, c’est être libre. Tandis qu’avec deux détenus seulement, au moins un des deux subit le choix de l’autre.
Jacques était surpris de la demande sans toutefois en mesurer l’aubaine.
- Heuu, oui, pourquoi pas.
- Alors tu fais une lettre au chef de détention pour dire que tu veux être avec moi, je m’occupe du reste, t’inquiètes.

Mahjd n’avait pas menti. Il ne mentait jamais, il avait sa fierté de braqueur. S’il parlait, il agissait. Quelles qu’en soient les conséquences, c’était bien là son problème. En prison, ce comportement était un avantage. Majid était respecté car il était franc, il ne préparait pas de coup en douce, il agissait ouvertement car il ne craignait rien. Trait de caractère propre aux nobles chevaliers, aux héroïques indiens d’Amérique …. et aux chiens d’attaque. Quatre jours plus tard, les lettres était passées entre les mains du vaguemestre, du chef de détention, puis étaient redescendues jusqu’au surveillant d’étage pour application immédiate. A l’échelle du temps pénitentiaire, un délai si court pour un trajet si long équivalait à un transport Chronopost par navette spatiale. Pour un détenu tel que Majid, l’administration sortait la fusée. Il faisait partie de ces personnages influents avec lesquels la pénitentiaire acceptait de négocier malgré la différence apparente de pouvoir. Majid, c’était comme le chef d’un puissant syndicat, un sans-dent certes, dirait un Président, mais un sans-dent avec beaucoup de petites mains pour l’épauler. S’il ne demandait pour tout avantage qu’une cellule triple, autant la lui donner plutôt qu’à un autre. Les représentants des grands syndicats ont rarement besoin d’utiliser les services de leur comité d’entreprise pour partir en vacances : ils croulent sous les invitations !
Jacques était sidéré de la rapidité et l’efficacité de l’intervention de Majid. Lui qui demandait depuis plusieurs mois un rendez-vous chez le dentiste sans avoir obtenu satisfaction. Et pas une triplette de seconde zone, non non, le vrai modèle qui fait des envieux, en bon état, propre, et vide. Une triplette rien que pour eux deux. Jacques pénétra de bon cœur dans sa nouvelle cellule. Entouré d’une hostilité permanente, le moindre sentiment bienveillant était appréciable. Majid l’accueillit d’un grand sourire. Il s’était déjà installé, avait pris le meilleur emplacement, le lit le plus isolé au fond. C’était de bonne guerre. Il restait à Jacques le lit près de la porte, où l’on était dérangé à chaque ouverture, et le lit du milieu, en plein passage. Il choisit la porte. Il endossait le rôle du préposé à l’ouverture, du majordome, en remerciement à l’appui que Majid lui accordait à lui, le primaire jamais condamné, le non-récidiviste, le non-délinquant, un cas social en somme, un inadapté pénitentiaire.
Après autant d’agitation, la routine repris son cours, attente, porte qui s’ouvre, attente. Jacques savait que Majid avait envie de parler de son passé. Il avait vécu plus de temps derrière des barreaux que libre, raconter ses dossiers lui octroyait un supplément de temps libre pris sur la détention. Majid était pudique, il ne se répandait pas en lamentations, et doté d’un minimum d’empathie, il n’utilisait pas son colocataire comme déversoir de ses misères existentielles. Ce fut donc Jacques qui l’invita à reprendre le cours de son histoire entamée quelques semaines plus tôt.

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