Pour Majid, quelques semaines plus tôt,
dès sa libération, la situation avait été beaucoup plus
ambivalente. Majid, qui n’avait pas été suffisamment cadré dans
son éducation, était demeuré un idéaliste, un utopiste révolté
qui ne dominait pas ses pulsions. Cette société qui avait autorisé
le suicide d’un Nacer le dégoûtait. Il ne goûtait pas l’air
frais de la liberté, il avait envie de tout faire péter encore une
fois.
Le fourgon pénitentiaire les déposa,
lui et les autres libérés du jour, à l’entrée de la station RER
de Saint-Michel-Sur-Orge. Majid avança machinalement, descendit les
marches sans réfléchir et remonta à mi-chemin pour s’arrêter
sur le quai central. Il leva les yeux vers l’écran d’information
à droite devant lui. Un train arrivait en gare dans 3 minutes. Trois
minutes. Trois stations. Dans trois stations il serait à Arpajon,
chez sa sœur qui l’hébergerait le temps de se ressourcer,
d’obtenir le job de cariste des repris de justice. A croire que
posséder un casier judiciaire était un prérequis pour être
cariste ! Majid s’exprimait avec aisance, il pouvait envisager
de travailler pour une société de télémarketing. Ce n’était
pas mieux payé que cariste, mais on passait la journée assis dans
un local climatisé, agréablement décoré, sur un fauteuil
confortable, et l’on rentrait chez soi les mains propres. C’était
important de ressentir qu’on avait les mains propres, lorsqu’on
sortait de prison. Cariste ou télémarketing. Télémarketing ou
cariste. Les deux choix flottaient au loin dans sa tête.
Plus près de lui, juste derrière à
gauche, se trouvait un autre afficheur, qui renseignait sur la voie
de derrière, celle où les trains arrivaient par la droite,
faisaient une pause le temps de débarquer et d’embarquer des flots
de passagers, puis repartaient vers la gauche, en direction de Paris,
de la grande vie, des grands espoirs, des grandes chutes également.
La ville du business, celle où son pedigree lui servait de carte
d’identité, celle où il pourrait sans peine reformer une équipe
de braqueurs, avoir le cœur qui bat à tout rompre, vivre debout et
avec intensité, et envoyer une bonne gifle à tout ce système
corrompu. L’afficheur indiquait un train à venir dans 2 minutes.
Il tourna la tête vers l’affichage de la voie devant lui, il
indiquait à présent 2 minutes également. Dans 2 minutes, il
reprendrait son destin en main.
Arpajon. Paris. Il hésitait quant à
la direction à prendre. Il se dit qu’un quai central de RER c’est
con, ça oblige à choisir la direction que l’on veut prendre. Les
gares ne devraient avoir qu’un seul quai, avec des trains qui
circulent dans un seul sens. Il en était là de ses réflexions
inutiles de prisonnier habitué à regarder le temps s’écouler
sans but, lorsque la masse d’air déplacée par les rames de wagons
précéda le bruit fracassant de l’arrivée des deux trains en
gare. Il fut pris en sandwich entre la rafale du train venant de
droite et celle du train de gauche. Il redécouvrait la puissance du
vent qui le fit gémir de surprise plus que de douleur en
s’engouffrant jusque dans ses tympans. Il marqua un temps d’arrêt
avant de choisir, puis monta à bord. Les trains repartirent.
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