Cela faisait déjà dix ans, alors
qu'ils traînaient leurs pieds dans la poussière de la cour du
lycée, qu'elle l'avait vu pour la première fois. Il n'était pas
difficile à repérer : on ne voyait que lui ! Il était juste
totalement différent de tous les autres. Il s'appelait Hérijao.
Comment passer inaperçu avec un prénom pareil au milieu des
Bernard, Thierry et autres Christophe. Il devait cette appellation
inhabituelle à ses origines malgaches. Malgache d'Antananarivo, pas
malgache des bords de mer, il insistait sur ce point. Les malgaches
de la capitale étaient les plus aisés, ils vivaient pour la plupart
à la française, tandis que les malgaches des villages de pêcheurs
faisaient dire de Madagascar que c'était l'un des pays les plus
pauvres au monde. Les uns et les autres ne s'appréciaient pas et se
trouvaient autant de points communs que Bernadette Chirac et Joey
Star dégustant un délicat macaron chez La Durée sur les Champs
élysées.
Hérijao n'avait jamais mis les pieds à Madagascar. Il était beau
comme une statue grecque. Ses origines n'y étaient pas pour rien.
Madagascar avait été une terre de métissage, proche de l'Afrique
mais accessible depuis le continent asiatique, et ancienne colonie
française. Le regard profond dissimulé dans ses yeux en amandes
vous captait comme un lasso. Son teint était hâlé, sa peau cuivrée
comme celle d'un dieu égyptien antique. Son physique était
semblable à la poignée de Maoris néo-zélandais qui faisaient
trembler les rugbymen de la Terre entière. Sa force avait façonné
son caractère car elle lui apportait une assurance à chaque
instant. Comme l'a écrit brillamment La Fontaine, la loi du plus
fort est toujours la meilleure.
Elle
le regardait, comme toutes les filles de la cour, avec des regards
furtifs pour ne pas se faire remarquer. Elle était trop timide pour
être entreprenante. Elle devait ce trait de caractère à son
éducation stricte, à la limite de la sévérité. Elle doutait de
tout, à commencer d'elle-même. La
seule touche d'exotisme qu'elle pensait avoir était son prénom :
Emmanuelle. Ce prénom, depuis la diffusion du film érotique du même
nom, avait une consonance plus sensuelle que Christine ou Véronique.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire